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Rentrée à la maison, je racontai tout à maman, qui déclara à ma petite sœur qu’elle serait privée de dessert pendant deux jours… Régina était gourmande, mais plus orgueilleuse encore. Elle pivota sur ses petits talons et, dansant la bourrée, se mit à chantonner : « Mon p’tit ventr’ se réjouit pas. »

J’avais envie de sauter sur la méchante petite fille.

J’appris quelques jours après, à la classe, que le Ministère me refusait la permission de jouer au Vaudeville. M. Régnier m’en témoigna tout son chagrin ; mais il ajouta avec bonté : « Ah ! dame ! ma chère enfant, le Conservatoire tient à vous, et il n’a pas tort. Il ne faut donc pas vous chagriner outre mesure. »

Et comme je répliquai : « Je suis sûre que c’est Camille Doucet qui est cause de cela… — Non, certes ! s’écria-t-il. Camille Doucet a été votre plus chaud avocat ; mais le Ministère ne veut à aucun prix déflorer vos débuts pour l’année prochaine. »

Je me pris alors d’une grande et reconnaissante tendresse pour cet aimable Camille Doucet, qui n’avait gardé aucune rancune de la stupide sortie de ma petite sœur.


Je me remis au travail avec une véritable ferveur. Je ne manquais pas une classe. Tous les matins je me rendais au Conservatoire avec mon institutrice. Nous partions de bonne heure parce que j’aimais mieux aller à pied qu’en omnibus ; et je gardais les vingt sous que maman me remettait chaque matin pour nos deux omnibus pour aller, et huit sous pour les gâteaux. Nous devions revenir à pied. Mais tous les deux jours, nous prenions un fiacre avec les quarante sous gardés à cet effet.