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très grosse position financière. Il est beaucoup mieux que jadis quand il était si noir, car il est maintenant tout blanc.

Du reste, je venais de passer mon premier concours avec un éclatant succès, surtout en tragédie. M. Provost, mon professeur, n’avait pas voulu me laisser concourir dans Zaïre ; mais j’avais tenu bon.

Je trouvais cette scène de Zaïre avec son frère Nérestan tout à fait jolie et dans mes cordes. Mais Provost voulait me faire dire, au moment où Zaïre accablée de reproches par son frère tombe à ses pieds, le :

Frappe ! dis-je, je l’aime !…

avec violence, et je voulais le dire dans la douceur et la résignation d’une mort presque certaine.

Je me disputai longtemps avec mon professeur. Et enfin j’eus l’air de lui céder pendant les classes.

Mais, le jour du concours, je tombai aux genoux de Nérestan avec un sanglot si convaincu, les bras ouverts, offrant mon cœur plein d’amour au coup mortel que j’attendais, et je murmurai avec tant de tendresse :

Frappe ! dis-je, je l’aime !…

que toute la salle éclata en bravos répétés par deux salves.

J’obtins le second prix de tragédie, au grand mécontentement du public qui aurait voulu me voir décerner le premier. Et cependant c’était justice. Mon jeune âge et mon peu de temps d’études justifiaient cette récompense secondaire. J’eus un premier accessit de comédie dans La Fausse Agnès.