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C’était la première fois que j’entendais ce mot, et quand j’en eus l’explication, je me demandai si c’était bien cela qu’on disait en pareil cas. « Mais oui, me dit mon parrain, tu es idiote avec ton sentiment romanesque. Le mariage est une affaire, et il faut le regarder comme une affaire. Tes futurs beau-père et belle-mère sont appelés à mourir comme toi et moi, et ce n’est pas désagréable de savoir qu’ils laisseront deux millions à leur fils, et à toi, par conséquent, si tu l’épouses ! — Je ne veux pas l’épouser. — Pourquoi ? — Parce que je ne l’aime pas. — Mais on n’aime jamais avant…, reprit mon pratique conseiller ; tu l’aimeras après. — Après quoi ? — Demande à ta mère. Mais, écoute-moi : pour le moment, il n’est pas question de cela. Il faut que tu te maries. Ta mère a une rente viagère laissée par ton père. Mais cette rente est prise sur les revenus de la fabrique qui appartient à ta grand’mère, laquelle ne peut souffrir ta mère. Elle va être dépossédée de sa rente, et elle restera sans rien, avec trois enfants sur les bras. C’est ce maudit notaire du Havre qui fait tout cela. Les pourquoi… et les parce que… seraient trop longs à te raconter. Ton père a mal arrangé ses affaires. Donc il faut te marier, si ce n’est pas pour toi, ce sera pour ta mère et tes sœurs. Tu donneras à ta mère les cent mille francs que ton père t’a laissés et qu’on ne peut toucher. M. Bed*** te reconnaît trois cent mille francs. J’ai tout arrangé. Tu les donneras si tu veux à ta mère ; et avec quatre cent mille francs elle vivra très bien. »

Je pleurai, je sanglotai et demandai à réfléchir.

Je trouvai maman dans la salle à manger. Elle me dit doucement, d’un air un peu timide : « Ton parrain t’a dit ? — Oui, mère, oui. Laisse-moi réfléchir, veux-tu ? »