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IX


L’évolution se fit en moi à partir de ce jour. Je fus encore assez longtemps avec mon âme enfantine ; mais mon cerveau perçut plus nettement la vie. Je sentais le besoin de me créer une personnalité. Ce fut le premier éveil de ma volonté.

Être quelqu’un, je voulus cela.

D’abord Mlle de Brabender me déclara que c’était de l’orgueil. Il me semblait à moi que ce n’était pas tout à fait cela. Mais je définissais mal, alors, quel était le sentiment qui m’imposait ce désir. Je ne compris que quelques mois après pourquoi je voulais être quelqu’un.


Un ami de mon parrain me demanda en mariage. Cet homme était un riche tanneur, aimable homme, mais si brun, si noir, si chevelu, si barbu, qu’il me dégoûtait. Je refusai. Alors mon parrain demanda à ma mère le droit de me parler seul. Il me fit asseoir dans le boudoir de maman et me dit : « Ma pauvre enfant, tu fais une imbécillité en refusant M. Bed*** ; il a soixante mille francs de rente, il a des espérances. »