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cour. La colère et le chagrin s’emparèrent de moi, en voyant « mon petit’dame » arrêtée, les deux mains en cornet, la tête en l’air, criant à maman penchée à la fenêtre : « Oui, oui, elle est reçue ! »

Je lui envoyai mon poing fermé dans le dos et me pris à pleurer de rage, car j’avais préparé pour maman toute une petite histoire qui finissait par la surprise joyeuse. Je devais prendre l’air triste dès la porte ; un air navré, confus, pour recevoir en plein le : « Ça ne m’étonne pas, tu es si bête, ma pauvrette », et lui sauter au cou en disant : « C’est pas vrai, c’est pas vrai, je suis reçue ! » Et dans ma tête, je voyais les figures s’illuminant : la vieille Marguerite, mon parrain s’esclaffant, mes sœurs dansant… Et voilà Mme Guérard qui soufflait par son cornet sur tous mes effets si bien préparés.

Je dois dire que l’aimable femme a continué jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant la plus grande partie de ma vie, à me couper tous mes effets. J’avais beau lui faire des scènes violentes, elle ne pouvait pas s’empêcher, quand je racontais une aventure dont j’attendais un gros effet, de pouffer de rire avant la fin. Et si j’ébauchais une histoire qui se terminait lamentable, elle poussait des soupirs, levait les yeux au ciel et marmonnait des « hélas ! » qui arrêtaient tout l’effet que j’attendais.

Cela m’exaspérait à un degré fou ; si bien que j’avais fini par dire avant de commencer une histoire : « Guérard, sors, ma chérie », et elle sortait en riant à l’idée des gaffes qu’elle aurait pu faire.

Tout en maugréant contre Guérard, je montai chez maman que je trouvai devant la porte grande ouverte. Elle m’embrassa tendrement et voyant ma figure boudeuse : « Eh bien, tu n’es pas contente ? — Si,