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dans les nuages.

messe et partirent gaiement, malgré l’heure tardive et la grande fatigue.

Me voici en voiture avec mon amie : nous partons ! Où vais-je ?… où vais-je ?… Nous marchons pendant une demi-heure et la voiture s’engage dans une grande allée bordée d’arbres. La jeune femme se penche, arrête brusquement le cocher et lui dit de continuer au pas. Elle riait toute seule en poussant des petits : Ah ! ah ! étouffés. Lui aussi, ah !… et lui… Comment encore celui-là… et cet autre… mais ils sont tous fous.

Je me haussai pour voir. Une ombre passa, jetant un regard dans la voiture. Doña Sol cacha sa tête. Une autre ombre marche nerveusement à droite frappant le pavé d’une canne ; des ombres assemblées plus loin font des gestes désespérés… Nous avançons au milieu d’ombres… J’ai peur… j’ai peur ! Nous avançons toujours : en face, une maison très-éclairée, toute couverte de lierre. Sur la terrasse, des femmes, des hommes, des enfants et des chiens interrogent l’horizon. Doña Sol rit aux larmes. La voiture tourne : elle s’arrête à la grille de la maison éclairée. Une clameur effrayante s’élève dans la nuit. Les ombres se précipitent, se bousculent… la terrasse devient déserte… les femmes, les enfants crient, les chiens aboient. La rue s’éveille, les gardiens de la paix s’inquiètent.