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dans les nuages.

— Bah ! elle fera demain le bonheur d’un paysan. Laissez-la donc, dit Louis Godard.

— Non ! non ! je l’aime, cette chaise ; qu’on me l’apporte.

La joie me donna un battement de cœur, et, quoique ne comprenant rien à cette tendresse subite, j’oubliai mes griefs et me repris à l’aimer. Après m’avoir cherchée quelques instants, Clairin me transporta dans la voiture près de la jeune femme.

— Pauvre chaise ! comme elle est trempée ! dit-elle, en essuyant et ma pluie et mes larmes.

Car je pleurais comme une bête : j’étais nerveuse.

La voiture dans laquelle je me trouvais était un élégant char-à-bancs.

Doña Sol avait pris place dans le fond ; à côté d’elle Clairin, en face moi, couchée sur une banquette. Dans le coin, Louis Godard, fatigué, faisait vis-à-vis au Monsieur gourmé. Le troisième chapeau était parti seul à pied. Le jeune homme sur le siège conduisait, ayant à ses côtés nos couvertures, le panier ventru et l’orphelin qu’on devait déposer chez le berger en passant. La jument grise partit à fond de train, laissant bien loin derrière nous la voiture qui portait le défunt ballon.

La conversation était languissante. La pluie ne cessait de tomber ; les chemins étaient très-mauvais, la nuit était noire ;