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dans les nuages.

Notre aérostat nous abritant contre cette averse hilarante, nous traversons l’ondée sans être mouillés. Nous nous élevons au-dessus des nuages et nous gagnons le soleil, laissant la terre sous un voile de pluie.

De nouveau nous voyons un admirable spectacle. Le soleil, furieux de se coucher si tôt, est rouge de colère ; de petits nuages gris le taquinent, passant et repassant sans cesse devant lui. Il ressemble à un lion blessé, tourmenté par des mouches.

De grandes lignes noires arrêtent les horizons ; les nuages sont opaques autour de nous.

— On se croirait sur mer un jour de brouillard, fait remarquer Clairin.

L’orage gronde sournoisement au loin. Nous sommes à 2,400 mètres d’altitude. Il fait presque chaud. Nous laissons derrière nous Joinville-le-Pont : la Marne se déroule comme un ruban satiné ; les petits bateaux semblent des poissons à fleur d’eau ; la vue est ravissante. C’est l’heure grise. Tout prend une poésie embaumée.

Nous marchons, nous marchons très-vite, traversant plaines et bois, passant au-dessus des sourires et des larmes. Voici un gai jardin : on chante, on rit autour de la table. Voici le petit cimetière : une femme y pleure. Toute la vie se déroule là de maison en maison. L’aérostat passe au-dessus d’un