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dans les nuages.

nes. Il était six heures et demie et la faim se faisait sentir dans la nacelle. Comme chaise de bois, mon estomac ne réclamait rien ; mais les trois voyageurs n’étaient pas de même. On décrocha le petit panier ventru. Doña Sol s’assit au fond de la nacelle et prépara des tartines de foie gras. Louis Godard debout, une bouteille de vin de Champagne en main, fit sauter le bouchon qui alla se perdre dans les régions éthérées. La détonation se répercuta de nuages en nuages ; un jet mousseux s’échappa de la bouteille, un flocon qui passait but à longs traits l’écume blanche et s’en alla porter l’ivresse dans le ciel. Alors tous les nuages se mirent à voltiger, se baisant, se choquant, se brisant et nous enveloppant entièrement de leur ivresse céleste.

Georges Clairin, le crayon à la main, fixait sur son album l’étrange, scène de ce dîner à 2,300 mètres dans les airs. Doña Sol avait mis le couvert ; à chacun une serviette minuscule, une tartine de foie gras et un verre. La jeune femme avait un petit gobelet d’argent.

Le ciel était superbe, et le temps avait revêtu sa robe la plus brillante. Le dîner se passa très-gaiement ; on fit deux services : le premier de tartines de foies gras, le second de foies gras en tartines. Puis un succulent dessert composé d’oranges, et ce fut tout. On but à la santé de M. Giffard, à l’avenir des ballons, à la gloire, aux arts, à ce qui a