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dans les nuages.

Je rêvais le luxe, les voyages ; j’enviais les sièges dorés dont les pieds reposent sur des tapis d’Orient. Être chaise officielle eut été le bonheur de ma vie. Les fourgons de déménagement me donnaient des battements de cœur, lorsque je les voyais passer dans la rue chargés de meubles et de chaises qu’on transportait pour être expédiés au-delà des mers.

Heureuses chaises !

Et je pleurais en silence, la tête en bas, le corps accroché à une barre de fer, dans le haut de la boutique ; mes larmes coulant goutte à goutte faisaient crépiter le gaz placé au-dessous de moi.

— Quel sale bois ! disait la dame grinchue, propriétaire de la boutique.

C’était un mardi. Un gros monsieur entre dans le magasin.

— Je voudrais des chaises, dit-il, des chaises pas cher.

Il paraît que nous n’étions pas cher, car la marchande étalant vingt-quatre de mes compagnes :

— Voilà votre affaire, dit-elle, regardez-moi cela.

— Très-bien, dit l’homme, mais il m’en faut encore.

La dame grinchue en présente trente autres.

— Voici toute ma marchandise… ah ! encore cette chaise ;