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encore plus étrange, peut-elle, chemin faisant, nous jeter de petites pierres brûlantes, à quatre-vingt-dix mille lieues de distance, avec des mortiers volcaniques de quatre lieues de largeur ? comment des mortiers si larges ont-ils pu les chasser si loin et si chaudes, à travers des régions glacées ? Nos plus terribles volcans, avec de bien moindres ouvertures, et par conséquent bien plus de détonation, ne lancent pas leurs projectiles à deux lieues de hauteur. Les volcans de la lune jettent, dit-on, leurs pierres à cinq mille lieues, c’est-à-dire aux limites de sa sphere d’attraction, d’où elles sont emportées par l’attraction de la terre à quatre-vingt-cinq mille lieues plus loin. Mais comment arrive-t-il que cette incroyable explosion ne dérange pas, par sa réaction, le cours d’un astre qui est en équilibre ? comment se fait-il alors que la lune, qui n’attire qu’à cinq mille lieues ses propres pierres, attire notre océan à quatre-vingt-dix mille, et que la terre, qui, de son côté, entraîne la lune entiere dans sa sphere d’attraction, n’y entraîne pas aussi toutes les pierres qui en couvrent la surface ? Si on dit que les spheres d’activité des deux planetes restent en équilibre, l’une à cinq mille lieues, l’autre à quatre-vingt-cinq mille, elles n’exercent donc point d’action l’une sur l’autre. Tout ce que nous savons de plus assuré de la lune, c’est qu’elle a des éléments semblables à ceux de la terre. Les astronomes lui ont refusé long-temps l’air et l’eau, quoiqu’ils sussent qu’elle avoit des volcans ; mais ils ne se rappeloient pas que le feu ne pouvoit exister sans air, et les volcans sans mers. Pour moi, s’il m’est permis de le dire, je regarde la lune comme un astre en harmonie passive avec le soleil,