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foule, dans les trop courts intervalles de la paix, oublier à vos pieds tous leurs ressentiments.

Notre langue vous doit sa clarté, sa pureté, son élégance, sa douceur, tout ce qu’elle a d’aimable et de naïf. Vous avez inspiré et formé nos plus grands poëtes et nos plus fameux orateurs. Vous protégez dans vos cercles l’écrivain solitaire qui a eu le bonheur de vous plaire et le malheur d’irriter des factions jalouses. À vos regards modestes, aux doux sons de votre voix, le sophiste audacieux se trouble, le fanatique sent qu’il est homme, et l’athée qu’il existe un Dieu. Vos larmes touchantes éteignent les torches de la superstition, et vos divins sourires dissipent les froids arguments du matérialisme.

Ainsi sur les rivages de l’Islande, après de longs hivers, la reine des mers boréales, la montagne de l’Hécla, couronnée de volcans, vomit des tourbillons de feux et de fumées à travers des pyramides de glace qui semblent menacer les cieux : mais lorsque le globe, au signe des Gémeaux, acheve d’incliner le pôle nord vers le soleil, les vents du printemps qui naissent sous l’empire de l’astre du jour joignent leurs tiedes haleines à ses rayons ardents. Les flancs de la montagne alors se réchauffent ; une chaleur souterraine s’étend sous la coupole de glace qui la surmonte, et lui refuse bientôt tout appui. D’abord ses sommets orgueilleux se précipitent dans ses crateres brûlants, en éteignent les feux, pénetrent dans ses longs souterrains, et jaillis-