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lieux ; j’étends le mien jusqu’au nom de ce village qui s’appelle Æragni : j’imagine qu’il vient d’Ara-ignis, autel de feu. Je me fonde sur ce qu’il y en a, aux environs, un du même nom ; et d’autres qui s’appellent Mont-igni, mont de feu.

Tant de convenances physiques et morales me plaisoient beaucoup ; mais il se rencontroit un grand obstacle à leur jouissance, je n’avois pas les moyens d’occuper cette agréable solitude. Sa distance de Paris, qui étoit pour moi un mérite de plus, me devenoit très coûteuse, par les frais d’allées et de venues, seul ou en famille, à Paris, où j’avois des devoirs à remplir toutes les semaines. Il falloit de plus fournir aux frais d’un nouvel ameublement, et terminer ceux de mon édition. Toutes ces dépenses ne pouvoient s’accorder avec mon revenu. Je me résolus donc de la louer si j’en trouvois l’occasion[1]. Homere dit que Jupiter a deux tonneaux au pied de son trône,

  1. Quelques journalistes me reprocheront peut-être encore que je parle toujours de moi. Mais puisque j’ai commencé mes Études de la nature par l’histoire d’un fraisier et des insectes qui l’habitoient, pourquoi ne parlerois-je pas dans ce préambule de ma maison de campagne et de ma famille ? Aimeroient-ils mieux que je parlasse d’eux ? c’est ce que je pourrai faire encore s’ils m’y obligent. Il n’y a que mes souscripteurs qui auroient droit de se plaindre que je les ennuie. Mais je les prie de considérer que je leur fais présent de ce préambule, que je ne leur ai pas promis. Je le leur donne comme un dédommagement de leur longue attente, ainsi que je l’ai dit.