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elle, tant elle est commode et solide. Des caves et des puits creusés dans le roc, deux basses-cours entourées de granges, d’écuries, de remises, et ombragées de beaux noyers ; c’étoit un asile tout-à-fait convenable à un pere de famille, et à un homme de lettres, tel que je le désirois depuis long-temps. C’est, comme je l’ai dit, un bien national ; c’étoit un presbytere dont le curé a péri sur l’échafaud dans la révolution : mais c’étoit pour moi deux nouveaux motifs d’intérêt. Tant de particuliers m’avoient enlevé mon bien que je ne m’y fiois plus. Je pensois au contraire que si la nation me reprenoit jamais celui-ci, elle auroit honte d’achever de dépouiller mes enfants, et qu’elle les dédommageroit d’une maniere ou d’une autre. Quant à ce que cette maison avoit été l’habitation d’un malheureux pasteur, elle ne faisoit qu’accroître l’intérêt que je prenois pour elle. Les lieux les plus intéressants pour moi sont ceux qui ont été habités par des infortunés qu’on peut supposer avoir été victimes de leur vertu, ou de leur innocence : il me semble que leur ombre me protege. Comme je n’ai jamais connu mon devancier, cette supposition m’est aussi aisée à faire en sa faveur qu’en celle des anciens habitants de la Grece et de Rome, dont les ruines ne m’inspirent aujourd’hui de l’intérêt que par l’idée que je me forme de leurs vertus, et de leurs malheurs. C’est toujours à un sentiment moral de vertu, de gloire, de splendeur, enfin à quelque chose de céleste, que se rapporte le respect des noms et des