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Comment M. Prud’hon a-t-il pu renfermer de si grands objets dans un si petit espace ? où a-t-il trouvé les modeles de ces mobiles et fugitifs effets que l’art ne peut poser, et dont la nature seule ne nous présente que de rapides images ; une vague en furie dans un ouragan, et une ame angélique dans une scene de désespoir ? Cette conception a trouvé ses expressions dans l’ame sensible, les ressouvenirs, et les talents supérieurs d’un artiste déja très connu des gens de goût. À la fois dessinateur, graveur, et peintre, on lui doit des enfants et des femmes remarquables par leur naïveté et leur grace. Il exposa il y a quelques années au salon un grand tableau de la Vérité qui descend du ciel sur la terre ; mais, il faut l’avouer, sa figure quoique céleste n’y fut guere mieux accueillie du public que si elle y fût descendue en personne. Elle ne dut même, peut-être, qu’à l’indifférence des spectateurs de n’y être pas critiquée et persécutée. Cependant elle étoit toute nue, et aussi belle qu’une Vénus ; mais comme elle portoit le nom de la Vérité, peu de gens s’en occuperent. Si M. Prud’hon réussit par la pureté de ses crayons et l’élégance de ses formes à rendre des divinités, il intéresse encore davantage, selon moi, en représentant des mortelles. Ses femmes ont dans leurs proportions, leurs attitudes, et leurs physionomies riantes, un laissé aller, un abandon, des graces, un caractere de sexe inimitables ; ses enfants potelés, naïfs, gais, sont dignes de