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de verd-de-gris et bouillis. Je tiens tous ces détails de sa tendre fille, qui conserve encore avec respect ces monuments du génie qui rendit la liberté à son pere. Ainsi, muni de canif, de compas, de regle, de plume, de papier, d’encre et de couleurs de son invention, il traça, de ressouvenir, le plan de sa conquête, écrivit son mémoire justificatif, et y démontra évidemment que l’accusateur qu’on lui opposoit étoit un faux témoin, qui n’avoit pu voir du bastion où il avoit été posté, ni le vaisseau commandant, ni même l’escadre. Il remit secrètement ces moyens de défense à l’homme de loi qui lui servoit de conseil. Celui-ci les porta à ses juges. Ce fut un coup de lumiere pour eux. On le fit donc sortir de la Bastille, après trois ans de prison. Il languit encore trois ans après sa sortie, accablé de chagrin de voir toute sa fortune dissipée, et de n’avoir recueilli de tant de services importants que des calomnies et des persécutions. Il fut sans doute plus touché de l’ingratitude du gouvernement que de la jalousie triomphante de ses ennemis. Jamais ils ne purent abattre sa franchise et son courage, même dans sa prison. Parmi le grand nombre d’accusateurs qui y vinrent déposer contre lui, un directeur de la compagnie des Indes crut lui faire une objection sans réponse en lui demandant comment il avoit si bien fait ses affaires, et si mal celles de la compagnie. « C’est, lui répondit la Bourdonnais, que j’ai toujours fait mes affaires d’après