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plus rempli d’erreurs et de préjugés que la terre n’est couverte au nord de sombres forêts ?

Le philosophe doit extirper les erreurs du sein des esprits, pour y faire germer la vérité, comme un laboureur extirpe les ronces de la terre pour y planter des chênes. Si de noires épines en ont épuisé tous les sucs, si le sol en est plein de roches, son rude travail n’est pas perdu : ses nerfs en acquierent de nouvelles forces.

Mon ami. Je travaillerai aussi pour la vérité sans tant de fatigues. Je me ferai journaliste. Je m’asseoirai au rang de mes juges.

Moi. Pourriez-vous vous abaisser à servir les haines d’autrui ? N’en doutez pas, il y a des hommes qui n’aspirent qu’au retour de la barbarie. Ils se réjouissent de voir les gens de lettres en guerre. Ils excitent entre eux des querelles pour les livrer au mépris public. S’ils le pouvoient, ils creveroient les yeux au genre humain : ils le priveroient de la lumiere comme de la vérité, pour le mieux asservir.

Mon ami. Dieu me préserve d’être jamais de leur nombre ! Je ferai le journal des journaux. Les auteurs fournissent aux journalistes la plupart des idées et des tirades dont ils remplissent leurs feuilles ; les journalistes me fourniront à leur tour la malignité dont j’aurai besoin. Je tournerai contre eux leurs propres fleches, et je m’attirerai bientôt tous leurs lecteurs.