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livres les plus agréables, les plus universellement lus, et les plus utiles. Ils gouvernent le monde. Voyez l’Iliade et l’Odyssée, dont les héros, les dieux, et les évènements sont presque tous de l’invention d’Homere ; voyez combien de souverains, de peuples, de religions, en ont tiré leur origine, leurs lois, et leur culte. De nos jours même, quel empire ce poëte exerce encore sur nos académies, nos arts libéraux, nos théâtres. C’est le dieu de la littérature de l’Europe.

Mon ami. je vous avoue que je suis fort dégoûté de la nôtre. Je ne veux plus courir dans une carrière où des études pénibles vous attendent à l’entrée, l’envie et la calomnie au milieu, des persécutions et l’infortune à la fin.

Moi. Quoi ! n’auriez-vous cultivé les lettres que dans la vaine espérance d’être honoré des hommes pendant votre vie ? Rappelez-vous Homere.

Mon ami. Qui voudroit cultiver les muses sans cette perspective de gloire qu’elles prolongent au loin sur notre horizon ? Elle consola sans doute Homere pendant sa vie. Voyez comme elle s’est étendue après sa mort.

Moi. Sans doute la gloire acquise par les lettres est la plus durable. Ce n’est même qu’à sa faveur que les autres genres de gloire parviennent à la postérité. Mais les monuments qui l’y transmettent n’ont pas l’esprit de vie comme ceux de la nature. Ils sont de l’invention des hommes, et par conséquent caducs