Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.
( xxv )

lettres, et dans les arts ? Ils trouvent dans les journaux des connoissances tout acquises, qui n’exigent de leur part aucune réflexion. L’ame a besoin de nourriture comme le corps ; et il est remarquable que le nombre des journaux s’est accru, chez nous, à mesure que celui des sermons y a diminué.

Mon ami. Et c’est par cela même que je les trouve dangereux. En donnant des raisonnements tout faits, ils ôtent la faculté de raisonner et celle d’être juste, par des jugements dictés souvent par l’esprit de parti. Ils paralysent à la fois les esprits et les consciences. Ceux qui les lisent habituellement s’accoutument à les regarder comme des oracles. Entrez dans nos cafés, et voyez la quantité de gens qui oublient leurs amis, leur commerce, et leur famille, pour se livrer à cette oisive occupation. Qu’en rapportent-ils chez eux ? quelque maxime de morale ? quelque principe de conduite ? non, mais un sarcasme bien mordant, ou une calomnie impudente contre des gens de lettres estimables.

Moi. Au moins vous en excepterez quelques journalistes sensés, tels que le Moniteur, le Publiciste, etc. ; quant aux autres, je n’ai point trop à m’en plaindre.

Mon ami. Comment ! pas même de ceux qui traitent de romans vos Études, où vous avez employé trente ans d’observations ?

Moi. Plût à Dieu qu’ils fussent persuadés que mes Études sont des romans comme Paul et Virginie ! Les romans sont les