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PAUL

envoie aux ames cruelles des religions effroyables.

Ainsi elle passa plusieurs années, tour-à-tour athée et superstitieuse, ayant également en horreur la mort et la vie. Mais ce qui acheva la fin d’une si déplorable existence fut le sujet même auquel elle avoit sacrifié les sentiments de la nature. Elle eut le chagrin de voir que sa fortune passeroit après elle à des parents qu’elle haïssoit. Elle chercha donc à en aliéner la meilleure partie ; mais ceux-ci, profitant des accès de vapeurs auxquelles elle étoit sujette, la firent enfermer comme folle, et mettre ses biens en direction. Ainsi ses richesses mêmes acheverent sa perte ; et comme elles avoient endurci le cœur de celle qui les possédoit, elles dénaturerent de même le cœur de ceux qui les désiroient. Elle mourut donc, et, ce qui est le comble du malheur, avec assez d’usage de sa raison pour connoître qu’elle étoit dépouillée et méprisée par les mêmes personnes dont l’opinion l’avoit dirigée toute sa vie.

On a mis auprès de Virginie, au pied des mêmes roseaux, son ami Paul, et autour d’eux leurs tendres meres et leurs fideles serviteurs. On n’a point élevé de marbres sur leurs humbles tertres, ni gravé d’in-