Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
ET VIRGINIE

s’en étoit suivie. Tantôt elle s’applaudissoit d’avoir repoussé loin d’elle deux malheureuses qui, disoit-elle, avoient déshonoré sa maison par la bassesse de leurs inclinations. Quelquefois se mettant en fureur à la vue de ce grand nombre de misérables dont Paris est rempli : « Que n’envoie-t-on, s’écrioit-elle, ces fainéants périr dans nos colonies » ? Elle ajoutoit que les idées d’humanité, de vertu, de religion, adoptées par tous les peuples, n’étoient que des inventions de la politique de leurs princes. Puis, se jetant tout-à-coup dans une extrémité opposée, elle s’abandonnoit à des terreurs superstitieuses qui la remplissoient de frayeurs mortelles. Elle couroit porter d’abondantes aumônes à de riches moines qui la dirigeoient, les suppliant d’appaiser la Divinité par le sacrifice de sa fortune : comme si des biens qu’elle avoit refusés aux malheureux pouvoient plaire au pere des hommes ! Souvent son imagination lui représentoit des campagnes de feu, des montagnes ardentes, où des spectres hideux erroient en l’appelant à grands cris. Elle se jetoit aux pieds de ses directeurs, et elle imaginoit contre elle-même des tortures et des supplices ; car le ciel, le juste ciel,