Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
PAUL

« Voilà ce que vous pouvez vous dire dans votre infortune : Je ne l’ai pas méritée. Est-ce donc le malheur de Virginie, sa fin, son état présent, que vous déplorez ? Elle a subi le sort réservé à la naissance, à la beauté, et aux empires mêmes. La vie de l’homme, avec tous ses projets, s’éleve comme une petite tour dont la mort est le couronnement. En naissant, elle étoit condamnée à mourir. Heureuse d’avoir dénoué les liens de la vie avant sa mere, avant la vôtre, avant vous, c’est-à-dire de n’être pas morte plusieurs fois avant la derniere !

« La mort, mon fils, est un bien pour tous les hommes ; elle est la nuit de ce jour inquiet qu’on appelle la vie. C’est dans le sommeil de la mort que reposent pour jamais les maladies, les douleurs, les chagrins, les craintes qui agitent sans cesse les malheureux vivants. Examinez les hommes qui paroissent les plus heureux : vous verrez qu’ils ont acheté leur prétendu bonheur bien chèrement ; la considération publique, par des maux domestiques ; la fortune, par la perte de la santé ; le plaisir si rare d’être aimé, par des sacrifices continuels : et souvent, à la fin d’une vie sacrifiée