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PAUL

dans ses regards. Il saisit avidement ce portrait de ses faibles mains, et le porta sur sa bouche. Alors sa poitrine s’oppressa, et dans ses yeux à demi sanglants des larmes s’arrêterent sans pouvoir couler.

Je lui dis : « Mon fils, écoutez-moi, qui suis votre ami, qui ai été celui de Virginie, et qui, au milieu de vos espérances ai souvent tâché de fortifier votre raison contre les accidents imprévus de la vie. Que déplorez-vous avec tant d’amertume ? est-ce votre malheur ? est-ce celui de Virginie ?

« Votre malheur ? Oui, sans doute, il est grand. Vous avez perdu la plus aimable des filles, qui auroit été la plus digne des femmes. Elle avoit sacrifié ses intérêts aux vôtres, et vous avoit préféré à la fortune comme la seule récompense digne de sa vertu. Mais que savez-vous si l’objet de qui vous deviez attendre un bonheur si pur n’eût pas été pour vous la source d’une infinité de peines ? Elle étoit sans bien, et déshéritée ; vous n’aviez désormais à partager avec elle que votre seul travail. Revenue plus délicate par son éducation, et plus courageuse par son malheur même, vous l’auriez vue chaque jour succomber, en