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ET VIRGINIE

lieu où nous étions, et du chemin que nous avions perdu. Mais l’ame d’un amant retrouve par-tout les traces de l’objet aimé. La nuit et le jour, le calme des solitudes et le bruit des habitations, le temps même qui emporte tant de souvenirs, rien ne peut l’en écarter. Comme l’aiguille touchée de l’aimant, elle a beau être agitée, dès qu’elle rentre dans son repos, elle se tourne vers le pole qui l’attire. Quand je demandois à Paul, égaré au milieu des plaines de Williams, « Où irons-nous maintenant » ? il se tournoit vers le nord, et me disoit, « Voilà nos montagnes, retournons-y. »

Je vis bien que tous les moyens que je tentois pour le distraire étoient inutiles, et qu’il ne me restoit d’autre ressource que d’attaquer sa passion en elle-même, en y employant toutes les forces de ma foible raison. Je lui répondis donc : « Oui, voilà les montagnes où demeuroit votre chere Virginie, et voilà le portrait que vous lui aviez donné, et qu’en mourant elle portoit sur son cœur, dont les derniers mouvements ont encore été pour vous. » Je présentai alors à Paul le petit portrait qu’il avoit donné à Virginie au bord de la fontaine des cocotiers. À cette vue une joie funeste parut