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ET VIRGINIE

plaisoit à chanter, firent tour-à-tour couler ses larmes ; et les mêmes échos qui avoient retenti tant de fois de leurs cris de joie communs, ne répétoient plus maintenant que ces mots douloureux : « Virginie ! ô ma chere Virginie ! »

Dans cette vie sauvage et vagabonde ses yeux se caverent, son teint jaunit, et sa santé s’altéra de plus en plus. Persuadé que le sentiment de nos maux redouble par le souvenir de nos plaisirs, et que les passions s’accroissent dans la solitude, je résolus d’éloigner mon infortuné ami des lieux qui lui rappeloient le souvenir de sa perte, et de le transférer dans quelque endroit de l’isle où il y eût beaucoup de dissipation. Pour cet effet je le conduisis sur les hauteurs habitées du quartier de Williams, où il n’avoit jamais été. L’agriculture et le commerce répandoient dans cette partie de l’isle beaucoup de mouvement et de variété. Il y avoit des troupes de charpentiers qui écarrissoient des bois, et d’autres qui les scioient en planches ; des voitures alloient et venoient le long de ses chemins ; de grands troupeaux de bœufs et de chevaux y paissoient dans de vastes pâturages, et la campagne y étoit parsemée