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ET VIRGINIE

leurs longues périodes j’ai jugé qu’aucune douleur n’étoit égale à la douleur maternelle. Quand elle recouvroit la connoissance elle tournoit des regards fixes et mornes vers le ciel. En vain son amie et moi nous lui pressions les mains dans les nôtres, en vain nous l’appelions par les noms les plus tendres ; elle paraissoit insensible à ces témoignages de notre ancienne affection, et il ne sortoit de sa poitrine oppressée que de sourds gémissements.

Dès le matin on apporta Paul couché dans un palanquin. Il avoit repris l’usage de ses sens ; mais il ne pouvoit proférer une parole. Son entrevue avec sa mere et madame de la Tour, que j’avois d’abord redoutée, produisit un meilleur effet que tous les soins que j’avois pris jusqu’alors. Un rayon de consolation parut sur le visage de ces deux malheureuses meres. Elles se mirent l’une et l’autre auprès de lui, le saisirent dans leurs bras, le baiserent ; et leurs larmes, qui avoient été suspendues jusqu’alors par l’excès de leur chagrin, commencerent à couler. Paul y mêla bientôt les siennes. La nature s’étant ainsi soulagée dans ces trois infortunés, un long assoupissement succéda à l’état