Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/276

Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
ET VIRGINIE

signe de la main, comme nous disant un éternel adieu. Tous les matelots s’étoient jetés à la mer. Il n’en restoit plus qu’un sur le pont, qui étoit tout nu et nerveux comme Hercule. Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits ; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. On entendit aussitôt ces cris redoublés des spectateurs : « Sauvez-la, sauvez-la ; ne la quittez pas » ! Mais dans ce moment une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’isle d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçoit de ses flancs noirs et de ses sommets écumants. À cette terrible vue le matelot s’élança seul à la mer ; et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l’autre sur son cœur, et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux.

Ô jour affreux ! hélas ! tout fut englouti. La lame jeta bien avant dans les terres une partie des spectateurs qu’un mouvement d’humanité avoit portés à s’avancer vers Virginie, ainsi que le matelot qui l’avoit voulu sauver à la nage. Cet homme échappé à une mort