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PAUL

l’espoir de l’aborder, car la mer, dans ses mouvements irréguliers, laissoit le vaisseau presque à sec, de maniere qu’on en eût pu faire le tour à pied ; mais bientôt après, revenant sur ses pas avec une nouvelle furie, elle le couvroit d’énormes voûtes d’eau qui soulevoient tout l’avant de sa carêne, et rejetoient bien loin sur le rivage le malheureux Paul, les jambes en sang, la poitrine meurtrie, et à demi noyé. À peine ce jeune homme avoit-il repris l’usage de ses sens qu’il se relevoit et retournoit avec une nouvelle ardeur vers le vaisseau, que la mer cependant entr’ouvroit par d’horribles secousses. Tout l’équipage désespérant alors de son salut, se précipitoit en foule à la mer, sur des vergues, des planches, des cages à poules, des tables, et des tonneaux. On vit alors un objet digne d’une éternelle pitié : une jeune demoiselle parut dans la galerie de la pouppe du Saint-Géran tendant les bras vers celui qui faisoit tant d’efforts pour la joindre. C’étoit Virginie. Elle avoit reconnu son amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir. Pour Virginie, d’un port noble et assuré, elle nous faisoit