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PAUL

pouppe venant à plonger, disparaissoit à la vue jusqu’au couronnement, comme si elle eût été submergée. Dans cette position où le vent et la mer le jetoient à terre, il lui étoit également impossible de s’en aller par où il étoit venu, ou, en coupant ses cables, d’échouer sur le rivage, dont il étoit séparé par de hauts fonds semés de récifs. Chaque lame qui venoit briser sur la côte s’avançoit en mugissant jusqu’au fond des anses, et y jetoit des galets à plus de cinquante pieds dans les terres ; puis, venant à se retirer, elle découvroit une grande partie du lit du rivage, dont elle rouloit les cailloux avec un bruit rauque et affreux. La mer, soulevée par le vent, grossissoit à chaque instant, et tout le canal compris entre cette isle et l’isle d’Ambre n’étoit qu’une vaste nappe d’écumes blanches, creusées de vagues noires et profondes. Ces écumes s’amassoient dans le fond des anses à plus de six pieds de hauteur, et le vent, qui en balayoit la surface, les portoit par-dessus l’escarpement du rivage à plus d’une demi-lieue dans les terres. À leurs flocons blancs et innombrables, qui étoient chassés horizontalement jusqu’au pied des montagnes, on eût dit d’une neige qui sortoit de la