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Si, en effet, je ne m’étois pas senti couler à fond, j’aurois pu lui dire que, m’étant occupé toute ma vie des intérêts du public, j’avois cru qu’il m’étoit permis de l’intéresser quelquefois aux miens, sans prétendre devenir chef de parti ; qu’il ne dédaignoit pas lui-même de captiver sa bienveillance en lui annonçant chaque jour les évènements heureux et malheureux, et jusqu’à la vente des plus petits meubles de la capitale ; que la banqueroute presque totale que j’avois éprouvée étoit un évènement public, et que j’étois aussi fondé à m’en plaindre que lui des différents cabinets de l’Europe, dont il révéloit avec tant de sagacité les projets de malveillance. J’aurois pu lui rappeler que le revenu de son journal n’étoit fondé que sur des souscriptions ; que Voltaire s’étoit honoré d’une semblable ressource en faisant imprimer les œuvres de Pierre Corneille au profit de la petite-niece de ce grand poëte ; qu’en ma qualité de pere de famille, j’avois pu faire imprimer une pastorale au profit de mes enfants ruinés, avec d’autant plus de raison que par des lois modernes, qui ne lui étoient pas inconnues, sur les propriétés littéraires des gens de lettres, mes enfants devoient être privés des miennes dix ans après ma mort.

J’aurois pu lui alléguer d’autres raisons pour justifier mon droit naturel et acquis de raisonner sur la cause des marées ;