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PAUL

très bons, et que le vaisseau y étoit en parfaite sûreté comme dans le meilleur port : « J’y mettrois toute ma fortune, ajouta-t-il, et j’y dormirois aussi tranquillement qu’à terre ». Un troisieme habitant dit qu’il étoit impossible que ce vaisseau pût entrer dans ce canal, où à peine les chaloupes pouvoient naviguer. Il assura qu’il l’avoit vu mouiller au-delà de l’isle d’Ambre, en sorte que si le vent venoit à s’élever au matin, il seroit le maître de pousser au large, ou de gagner le port. D’autres habitants ouvrirent d’autres opinions. Pendant qu’ils contestoient entre eux, suivant la coutume des Créoles oisifs, Paul et moi nous gardions un profond silence. Nous restâmes là jusqu’au petit point du jour ; mais il faisoit trop peu de clarté au ciel pour qu’on pût distinguer aucun objet sur la mer, qui d’ailleurs étoit couverte de brume : nous n’entrevîmes au large qu’un nuage sombre, qu’on nous dit être l’isle d’Ambre, située à un quart de lieue de la côte. On n’appercevoit dans ce jour ténébreux que la pointe du rivage où nous étions, et quelques pitons des montagnes de l’intérieur de l’isle, qui apparoissoient de temps en temps au milieu des nuages qui circuloient autour.