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Cependant les trompettes et les cloches de notre renommée n’avoient pas encore sonné ; mon prospectus n’avoit point encore été annoncé par les journalistes : ils attendoient, suivant leur usage, le jugement que le monde en porteroit pour y confirmer leurs opinions ; mais voyant que sur ce point comme sur bien d’autres il n’en avoit aucune, ils se déciderent à lui en donner.

Le premier qui emboucha sa trompette en ma faveur fut le journal de Paris. Son rédacteur me trouva d’abord fort à plaindre d’en être réduit à parler si souvent au public de mes affaires particulieres. Il remarqua qu’il étoit fort au-dessous de ma grande réputation d’écrivain d’être obligé de recourir aux souscriptions. Je crois même qu’il me renouvela à ce sujet le conseil d’ami qu’il m’avoit plusieurs fois donné dans son journal, de ne me plus mêler d’écrire sur les marées, où je n’entendois rien, et d’en laisser le soin à nos astronomes. Je crus d’abord que c’étoit une pierre qui me tomboit de la lune ; mais ce n’étoit pas lui qui me la jettoit : au contraire il se pénétra si bien de mes malheurs et de leurs causes, qu’il oublia de parler des beautés de mon édition future. Qui n’auroit pas connu sa franchise auroit cru entendre le maître d’école qui tance l’enfant tombé dans la Seine en jouant imprudemment sur ses bords. Il me regardoit sans doute comme tombé dans la mer en me jouant avec mon système des marées.