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ET VIRGINIE

qui porte des fruits. Cet arbre n’étoit pas si haut que le genou de Virginie à son départ ; mais comme il croît vite, deux ans après il avoit vingt pieds de hauteur, et son tronc étoit entouré dans sa partie supérieure de plusieurs rangs de fruits mûrs. Paul, s’étant rendu par hasard dans ce lieu, fut rempli de joie en voyant ce grand arbre sorti d’une petite graine qu’il avoit vu planter par son amie ; et en même temps il fut saisi d’une tristesse profonde par ce témoignage de sa longue absence. Les objets que nous voyons habituellement ne nous font pas appercevoir de la rapidité de notre vie ; ils vieillissent avec nous d’une vieillesse insensible : mais ce sont ceux que nous revoyons tout-à-coup après les avoir perdus quelques années de vue, qui nous avertissent de la vitesse avec laquelle s’écoule le fleuve de nos jours. Paul fut aussi surpris et aussi troublé à la vue de ce grand papayer chargé de fruits, qu’un voyageur l’est, après une longue absence de son pays, de n’y plus retrouver ses contemporains, et d’y voir leurs enfants, qu’il avoit laissés à la mamelle, devenus eux-mêmes peres de famille. Tantôt il vouloit l’abattre, parce qu’il lui rendoit trop sensible la longueur du temps