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PAUL

ses vases au fond de son lit, reprend sa premiere limpidité, et, redevenue transparente, réfléchit, avec ses propres rivages, la verdure de la terre et la lumiere des cieux. La solitude rétablit aussi bien les harmonies du corps que celles de l’ame. C’est dans la classe des solitaires que se trouvent les hommes qui poussent le plus loin la carriere de la vie ; tels sont les brames de l’Inde. Enfin je la crois si nécessaire au bonheur dans le monde même, qu’il me paroît impossible d’y goûter un plaisir durable, de quelque sentiment que ce soit, ou de régler sa conduite sur quelque principe stable, si l’on ne se fait une solitude intérieure, d’où notre opinion sorte bien rarement, et où celle d’autrui n’entre jamais. Je ne veux pas dire toutefois que l’homme doive vivre absolument seul : il est lié avec tout le genre humain par ses besoins ; il doit donc ses travaux aux hommes ; il se doit aussi au reste de la nature. Mais comme Dieu a donné à chacun de nous des organes parfaitement assortis aux éléments du globe où nous vivons, des pieds pour le sol, des poumons pour l’air, des yeux pour la lumiere, sans que nous puissions intervertir l’usage de ces sens, il s’est réservé pour lui