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PAUL

quelques uns des romans qu’il avoit lus il voyoit la trahison traitée de plaisanterie ; et comme il savoit que ces livres renfermoient des peintures assez fideles des mœurs de l’Europe, il craignit que la fille de madame de la Tour ne vînt à s’y corrompre, et à oublier ses anciens engagements. Ses lumieres le rendoient déja malheureux. Ce qui acheva d’augmenter ses craintes, c’est que plusieurs vaisseaux d’Europe arriverent ici depuis, dans l’espace de six mois, sans qu’aucun d’eux apportât des nouvelles de Virginie.

Cet infortuné jeune homme, livré à toutes les agitations de son cœur, venoit me voir souvent, pour confirmer ou pour bannir ses inquiétudes par mon expérience du monde.

Je demeure, comme je vous l’ai dit, à une lieue et demie d’ici, sur les bords d’une petite riviere qui coule le long de la Montagne-longue. C’est là que je passe ma vie seul, sans femme, sans enfants, et sans esclaves.

Après le rare bonheur de trouver une compagne qui nous soit bien assortie, l’état le moins malheureux de la vie est sans doute de vivre seul. Tout homme