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PAUL

ne l’intéressa guere davantage. Il n’y voyoit que des malheurs généraux et périodiques, dont il n’appercevoit pas les causes ; des guerres sans sujet et sans objet ; des intrigues obscures ; des nations sans caractere, et des princes sans humanité. Il préféroit à cette lecture celle des romans, qui, s’occupant davantage des sentiments et des intérêts des hommes, lui offroient quelquefois des situations pareilles à la sienne. Aussi aucun livre ne lui fit autant de plaisir que le Télémaque, par ses tableaux de la vie champêtre et des passions naturelles au cœur humain. Il en lisoit à sa mere et à madame de la Tour les endroits qui l’affectoient davantage : alors ému par de touchants ressouvenirs, sa voix s’étouffoit, et les larmes couloient de ses yeux. Il lui sembloit trouver dans Virginie la dignité et la sagesse d’Antiope, avec les malheurs et la tendresse d’Eucharis. D’un autre côté il fut tout bouleversé par la lecture de nos romans à la mode, pleins de mœurs et de maximes licencieuses ; et quand il sut que ces romans renfermoient une peinture véritable des sociétés de l’Europe, il craignit, non sans quelque apparence de raison, que Virginie ne vînt à s’y corrompre et à l’oublier.