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son désespoir. Enfin celle-ci parvint à le calmer en lui prodiguant les noms les plus propres à réveiller ses espérances. Elle l’appeloit son fils, son cher fils, son gendre, celui à qui elle destinoit sa fille. Elle l’engagea à rentrer dans la maison, et à y prendre quelque peu de nourriture. Il se mit à table avec nous auprès de la place où se mettoit la compagne de son enfance ; et, comme si elle l’eût encore occupée, il lui adressoit la parole et lui présentoit les mets qu’il savoit lui être les plus agréables ; mais dès qu’il s’appercevoit de son erreur il se mettoit à pleurer. Les jours suivants il recueillit tout ce qui avoit été à son usage particulier, les derniers bouquets qu’elle avoit portés, une tasse de coco où elle avoit coutume de boire ; et comme si ces restes de son amie eussent été les choses du monde les plus précieuses, il les baisoit et les mettoit dans son sein. L’ambre ne répand pas un parfum aussi doux que les objets touchés par l’objet que l’on aime. Enfin, voyant que ses regrets augmentoient ceux de sa mere et de madame de la Tour, et que les besoins de la famille demandoient un travail continuel, il se mit, avec l’aide de Domingue, à réparer le jardin.