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ET VIRGINIE

nuages que le sommet du Pouce attire sans cesse autour de lui y entretiennent plusieurs ruisseaux, qui tombent à une si grande profondeur au fond de la vallée, située au revers de cette montagne, que de cette hauteur on n’entend point le bruit de leur chûte. De ce lieu on voit une grande partie de l’isle avec ses mornes surmontés de leurs pitons, entre autres Piterboth et les Trois-mamelles avec leurs vallons remplis de forêts ; puis la pleine mer, et l’Isle Bourbon, qui est à quarante lieues de là vers l’occident. Ce fut de cette élévation que Paul apperçut le vaisseau qui emmenoit Virginie. Il le vit à plus de dix lieues au large comme un point noir au milieu de l’océan. Il resta une partie du jour tout occupé à le considérer : il étoit déja disparu qu’il croyoit le voir encore ; et quand il fut perdu dans la vapeur de l’horizon, il s’assit dans ce lieu sauvage, toujours battu des vents, qui y agitent sans cesse les sommets des palmistes et des tatamaques. Leur murmure sourd et mugissant ressemble au bruit lointain des orgues, et inspire une profonde mélancolie. Ce fut là que je trouvai Paul, la tête appuyée contre le rocher, et les yeux fixés vers la terre. Je marchois après lui