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PAUL

vous donner, par la perte de vos deux enfants, un sujet éternel de douleur ! »

À ces mots je le saisis dans mes bras ; car le désespoir lui ôtoit la raison. Ses yeux étinceloient ; la sueur couloit à grosses gouttes sur son visage en feu ; ses genoux trembloient, et je sentois dans sa poitrine brûlante son cœur battre à coups redoublés.

Virginie effrayée, lui dit : « Ô mon ami ! j’atteste les plaisirs de notre premier âge, tes maux, les miens, et tout ce qui doit lier à jamais deux infortunés, si je reste, de ne vivre que pour toi ; si je pars, de revenir un jour pour être à toi. Je vous prends à témoins, vous tous qui avez élevé mon enfance, qui disposez de ma vie et qui voyez mes larmes. Je le jure par ce ciel qui m’entend, par cette mer que je dois traverser, par l’air que je respire, et que je n’ai jamais souillé du mensonge. »

Comme le soleil fond et précipite un rocher de glace du sommet des Apennins, ainsi tomba la colere impétueuse de ce jeune homme à la voix de l’objet aimé. Sa tête altiere étoit baissée, et un torrent de pleurs couloit de ses yeux. Sa mere, mêlant ses larmes aux