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point courage. Je levai les yeux au ciel. Je me dis : « Puisque je suis né dans un monde où on repousse la vérité et où on accueille les fictions, tirons partie de celle de mes enfants adoptifs, en faveur de mes propres enfants. Les fonds me manquent pour mon édition de Paul et Virginie, mais je peux la proposer par souscriptions. Il y a quantité de gens riches qui se feront un plaisir de les remplir. Plusieurs m’y invitent depuis long-temps. »

Je m’arrêtai donc à ce projet, et je me hâtai d’en imprimer les prospectus. Je crus en augmenter l’intérêt en y parlant d’une partie de mes pertes. Enfin j’étois si persuadé qu’elles produiroient un grand effet, que je traitai sur-le-champ avec des artistes pour commencer les dessins qui m’étoient nécessaires. Je fixai même à un terme assez prochain la clôture des souscriptions, pour n’en être pas accablé. En effet, pour en avoir tout de suite un bon nombre, je les avois mises à un tiers au-dessous de la vente de l’ouvrage, et je n’en demandois d’avance que la moitié. Une foule de gens officieux se chargea de répandre ces prospectus dans la capitale, les départements, et même dans toute l’Europe. Au bout de quelque temps, quelques-uns d’entre eux m’apporterent des listes assez nombreuses de personnages riches, grands amateurs des arts, et sur-tout fort sensibles, qui me prioient d’inscrire leurs noms, mais ils ne m’envoyoient point d’argent.