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PAUL

entrecoupés de soupirs… « C’est pour toi que je pars,… pour toi que j’ai vu chaque jour courbé par le travail pour nourrir deux familles infirmes. Si je me suis prêtée à l’occasion de devenir riche, c’est pour te rendre mille fois le bien que tu nous as fait. Est-il une fortune digne de ton amitié ? Que me dis-tu de ta naissance ? Ah ! s’il m’étoit encore possible de me donner un frere, en choisirois-je un autre que toi ? Ô Paul ! Ô Paul ! tu m’es beaucoup plus cher qu’un frere ! Combien m’en a-t-il coûté pour te repousser loin de moi ! Je voulois que tu m’aidasses à me séparer de moi-même jusqu’à ce que le ciel pût bénir notre union. Maintenant je reste, je pars, je vis, je meurs : fais de moi ce que tu veux. Fille sans vertu ! j’ai pu résister à tes caresses, et je ne peux soutenir ta douleur ! »

À ces mots Paul la saisit dans ses bras, et la tenant étroitement serrée, il s’écria d’une voix terrible : « Je pars avec elle ; rien ne pourra m’en détacher ». Nous courûmes tous à lui. Madame de la Tour lui dit : « Mon fils, si vous nous quittez qu’allons-nous devenir ? »

Il répéta en tremblant ces mots : « Mon fils… mon