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PAUL

Mais quel secret venez-vous de me révéler ! Je vois maintenant la raison qui éloigne de moi mademoiselle de la Tour depuis deux mois, et qui la décide aujourd’hui à partir. Ah ! sans doute, elle me méprise ! »

Cependant l’heure de souper étant venue, on se mit à table, où chacun des convives, agité de passions différentes, mangea peu et ne parla point. Virginie en sortit la premiere, et fut s’asseoir au lieu où nous sommes. Paul la suivit bientôt après, et vint se mettre auprès d’elle. L’un et l’autre garderent quelque temps un profond silence. Il faisoit une de ces nuits délicieuses, si communes entre les tropiques, et dont le plus habile pinceau ne rendroit pas la beauté. La lune paraissoit au milieu du firmament, entourée d’un rideau de nuages que ses rayons dissipoient par degrés. Sa lumiere se répandoit insensiblement sur les montagnes de l’isle et sur leurs pitons, qui brilloient d’un verd argenté. Les vents retenoient leurs haleines. On entendoit dans les bois, au fond des vallées, au haut des rochers, de petits cris, de doux murmures d’oiseaux, qui se caressoient dans leurs nids, réjouis par la clarté de la nuit,