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réelle. Ici c’étoit les fruits de mes longs travaux qui s’évanouissoient dans ma vieillesse, emportant avec eux l’espoir de ma famille. Cependant Dieu me donna plus de force pour en supporter la perte que je ne l’avois espéré. Ce qui m’en sembla de plus rude, ce fut de l’annoncer à ma femme. Je ne pouvois cacher cet énorme déficit à ma compagne et à la tutrice de mes enfants. Je le lui annonçai donc avec beaucoup de ménagement. Quelle fut ma surprise, lorsqu’elle me dit d’un grand sang-froid, « Nous nous sommes bien passés de cet argent jusqu’à présent, nous nous en passerons bien encore. Je me sens assez de courage pour supporter avec toi la mauvaise fortune comme la bonne. Mais, crois-moi, Dieu ne nous abandonnera pas. »

Je rendis graces au ciel de mon malheur. En perdant à peu près tout ce que j’avois, je découvrois un trésor plus précieux que tous ceux que la fortune peut donner. Quelle dot, quelles dignités, quels honneurs, peuvent égaler pour un pere de famille les vertus d’une épouse !

Environ dans le même temps, on diminua d’un cinquieme un bienfait annuel que je recevois du gouvernement. J’y fus d’autant plus sensible que j’en attribuai alors la cause à une dispute dans laquelle je m’étois engagé au sujet de ma nouvelle théorie des courants et des marées de l’océan.

Cependant, malgré ces contre-temps réunis, je ne perdis