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ET VIRGINIE

prit donc sa fille à part, et lui dit : « Mon enfant, nos domestiques sont vieux ; Paul est bien jeune, Marguerite vient sur l’âge ; je suis déja infirme : si j’allois mourir, que deviendriez-vous sans fortune au milieu de ces déserts ? Vous resteriez donc seule, n’ayant personne qui puisse vous être d’un grand secours, et obligée, pour vivre, de travailler sans cesse à la terre comme une mercenaire. Cette idée me pénetre de douleur ». Virginie lui répondit : « Dieu nous a condamnés au travail. Vous m’avez appris à travailler, et à le bénir chaque jour. Jusqu’à présent il ne nous a pas abandonnés, il ne nous abandonnera point encore. Sa providence veille particulièrement sur les malheureux. Vous me l’avez dit tant de fois, ma mere ! Je ne saurois me résoudre à vous quitter ». Madame de la Tour, émue, reprit : « Je n’ai d’autre projet que de te rendre heureuse, et de te marier un jour avec Paul, qui n’est point ton frere. Songe maintenant que sa fortune dépend de toi. »

Une jeune fille qui aime croit que tout le monde l’ignore. Elle met sur ses yeux le voile qu’elle a sur son cœur ; mais quand il est soulevé par une main amie,