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PAUL

À peine cette lettre fut lue dans la famille qu’elle y répandit la consternation. Domingue et Marie se mirent à pleurer. Paul, immobile d’étonnement, paroissoit prêt à se mettre en colere. Virginie, les yeux fixés sur sa mere, n’osoit proférer un mot. « Pourriez-vous nous quitter maintenant ? dit Marguerite à madame de la Tour. — Non, mon amie ; non, mes enfants, reprit madame de la Tour : je ne vous quitterai point. J’ai vécu avec vous, et c’est avec vous que je veux mourir. Je n’ai connu le bonheur que dans votre amitié. Si ma santé est dérangée, d’anciens chagrins en sont cause. J’ai été blessée au cœur par la dureté de mes parents, et par la perte de mon cher époux. Mais depuis j’ai goûté plus de consolation et de félicité avec vous, sous ces pauvres cabanes, que jamais les richesses de ma famille ne m’en ont fait même espérer dans ma patrie. »

À ce discours des larmes de joie coulerent de tous les yeux. Paul, serrant madame de la Tour dans ses bras, lui dit : « Je ne vous quitterai pas non plus ; je n’irai point aux Indes. Nous travaillerons tous pour vous, chere maman ; rien ne vous manquera jamais