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PAUL

elle l’avoit porté long-temps suspendu à son cou étant fille ; ensuite, devenue mere, elle l’avoit mis à celui de son enfant. Il étoit même arrivé qu’étant enceinte de lui, et délaissée de tout le monde, à force de contempler l’image de ce bienheureux solitaire, son fruit en avoit contracté quelque ressemblance ; ce qui l’avoit décidée à lui en faire porter le nom, et à lui donner pour patron un saint qui avoit passé sa vie loin des hommes, qui l’avoient abusée, puis abandonnée. Virginie, en recevant ce petit portrait des mains de Paul, lui dit d’un ton ému : « Mon frere, il ne me sera jamais enlevé tant que je vivrai, et je n’oublierai jamais que tu m’as donné la seule chose que tu possedes au monde ». À ce ton d’amitié, à ce retour inespéré de familiarité et de tendresse, Paul voulut l’embrasser ; mais aussi légere qu’un oiseau elle lui échappa, et le laissa hors de lui, ne concevant rien à une conduite si extraordinaire.

Cependant Marguerite disoit à madame de la Tour : « Pourquoi ne marions-nous pas nos enfants ? Ils ont l’un pour l’autre une passion extrême dont mon fils ne s’apperçoit pas encore. Lorsque la nature lui aura