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PAUL

encore en filets d’argent sur les flancs bruns du rocher. Elle se plonge dans son bassin. D’abord la fraîcheur ranime ses sens, et mille souvenirs agréables se présentent à son esprit. Elle se rappelle que dans son enfance sa mere et Marguerite s’amusoient à la baigner avec Paul dans ce même lieu ; que Paul ensuite, réservant ce bain pour elle seule, en avoit creusé le lit, couvert le fond de sable, et semé sur ses bords des herbes aromatiques. Elle entrevoit dans l’eau, sur ses bras nus et sur son sein, les reflets des deux palmiers plantés à la naissance de son frere et à la sienne, qui entrelaçoient au-dessus de sa tête leurs rameaux verds et leurs jeunes cocos. Elle pense à l’amitié de Paul, plus douce que les parfums, plus pure que l’eau des fontaines, plus forte que les palmiers unis ; et elle soupire. Elle songe à la nuit, à la solitude, et un feu dévorant la saisit. Aussitôt elle sort, effrayée de ces dangereux ombrages, et de ces eaux plus brûlantes que les soleils de la zone torride. Elle court auprès de sa mere chercher un appui contre elle-même. Plusieurs fois, voulant lui raconter ses peines, elle lui pressa les mains dans les siennes ; plusieurs fois elle fut près de prononcer le