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PAUL

Quelquefois, à la vue de Paul, elle alloit vers lui en folâtrant ; puis tout-à-coup, près de l’aborder, un embarras subit la saisissoit ; un rouge vif coloroit ses joues pâles, et ses yeux n’osoient plus s’arrêter sur les siens. Paul lui disoit : « La verdure couvre ces rochers, nos oiseaux chantent quand ils te voient ; tout est gai autour de toi, toi seule es triste ». Et il cherchoit à la ranimer en l’embrassant ; mais elle détournoit la tête, et fuyoit tremblante vers sa mere. L’infortunée se sentoit troublée par les caresses de son frere. Paul ne comprenoit rien à des caprices si nouveaux et si étranges. Un mal n’arrive guere seul.

Un de ces étés qui désolent de temps à autre les terres situées entre les tropiques vint étendre ici ses ravages. C’étoit vers la fin de décembre, lorsque le soleil au capricorne échauffe pendant trois semaines l’Isle-de-France de ses feux verticaux. Le vent du sud-est qui y regne presque toute l’année n’y souffloit plus. De longs tourbillons de poussiere s’élevoient sur les chemins, et restoient suspendus en l’air. La terre se fendoit de toutes parts ; l’herbe étoit brûlée ; des exhalaisons chaudes sortoient du flanc des montagnes, et