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ET VIRGINIE

de rose. Si tu marches vers la maison de nos meres, la perdrix qui court vers ses petits a un corsage moins beau et une démarche moins légere. Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver ; quelque chose de toi que je ne puis dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds. Lorsque je t’approche, tu ravis tous mes sens. L’azur du ciel est moins beau que le bleu de tes yeux ; le chant des bengalis, moins doux que le son de ta voix. Si je te touche seulement du bout du doigt, tout mon corps frémit de plaisir. Souviens-toi du jour où nous passâmes à travers les cailloux roulants de la riviere des Trois-mamelles. En arrivant sur ses bords j’étois déja bien fatigué ; mais quand je t’eus prise sur mon dos il me sembloit que j’avois des ailes comme un oiseau. Dis-moi par quel charme tu as pu m’enchanter ? Est-ce par ton esprit ? mais nos meres en ont plus que nous deux. Est-ce par tes caresses ? mais elles m’embrassent plus souvent que toi. Je crois que c’est par ta bonté. Je n’oublierai jamais que tu as marché nu-pieds jusqu’à la Riviere-noire pour demander la grace d’une