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prétexte de leur nouveauté ou de leur singularité. Si elle remarquoit trop de délabrement dans leurs habits, elle choisissoit, avec l’agrément de sa mere, quelques uns des siens, et elle chargeoit Paul d’aller secrètement les déposer à la porte de leurs cases. Ainsi elle faisoit le bien, à l’exemple de la Divinité, cachant la bienfaitrice, et montrant le bienfait.

Vous autres Européens, dont l’esprit se remplit dès l’enfance de tant de préjugés contraires au bonheur, vous ne pouvez concevoir que la nature puisse donner tant de lumieres et de plaisirs. Votre ame, circonscrite dans une petite sphere de connoissances humaines, atteint bientôt le terme de ses jouissances artificielles : mais la nature et le cœur sont inépuisables. Paul et Virginie n’avoient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d’histoire, et de philosophie. Les périodes de leur vie se régloient sur celles de la nature. Ils connoissoient les heures du jour par l’ombre des arbres ; les saisons, par les temps où ils donnent leurs fleurs ou leurs fruits ; et les années, par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandoient les plus grands charmes dans leurs conversations. « Il est temps